samedi 22 septembre 2007

Underground

Le tournis, voilà une sensation qu’il détestait. Trop en voir et avoir la tête qui tourne, avoir finalement l’impression de ne rien voir vraiment sous le flot de toutes ces maisons remarquables. À gauche, à droite, en contrebas, sur le flanc de la montagne. Pour se rassurer, il serrait un peu plus fort la main de sa blonde. S’accrocher à elle pour ne pas perdre pied ou buter dans quelque rebord de trottoir. Pourtant, c’était elle qui le traînait de plus en plus dans le nid de ces riches manoirs, au cœur de l’île de Montréal. C’était elle qui montrait du doigt ici la corniche sculptée, là l’immense patio, derrière la piscine. Elle qui le perdait un peu plus dans le labyrinthe des rues de Westmount, dont elle connaissait toutes les routes, tous les chemins. Il faut dire qu’il était à présent habitué aux tracés nord-américains, rectilignes, gigantesques. Et là, les rues tournaient sur elles-mêmes, se coupaient n’importe comment, se terminaient brusquement dans un cul de sac. La ligne droite n’avait plus droit de citer !

Plus il s’accrochait à elle, plus il avait le tournis. Plus il avait le tournis, plus il s’accrochait à elle.

Et puis, il y avait la nausée. La nausée face à tout ce déballage de luxe. Il avait du mal à imaginer qu’il existe autant de personnes assez riches pour avoir de telles maisons. Il suffisait d’aller un peu plus au sud de Westmount, ou un peu plus au nord, et là, il y avait des cas criant de paupérisme, de marginalisation, de détresse. Ah tiens, celle-là, elle a son propre terrain de basket ball.

Le parfum de toutes les fleurs de ces arrangements floraux de bons goûts, faits à prix d’or, étalés sur les larges pelouses coupées court, lui noyaient le nez, lui donnaient la nausée, une nausée vomitive.

Mais pourtant, c’était beau. C’était incroyable. Il fallait voir ces maisons aux monumentales entrées virginiennes côtoyer d’étranges ersatz du Trianon, s’accoter à des manoirs victoriens, des petits châteaux cossus pour châtelains friqués en manque d’inspiration. Il avait du mal à imaginer le prix de ces maisons, combien de temps il faudrait qu’il travaille pour arriver à se payer une de ces immenses demeures. 200, 300 ans. Combien de vie d’homme. Il y avait quelque chose d’indécent dans ces beautés architecturales. Elles avaient quelques choses des peintures dans les musées : sous nos yeux, mais totalement intouchables, hors de portée.

Quelques heures plus tard, ils étaient dans un parc de Westmount. Sa blonde était assise droite sur le banc et passait sa main dans ses cheveux. Le soleil leur flattait le visage. Lui, il était allongé et sa tête était posé sur les petits genoux. La tournis avait cessé. La nausée aussi. Il regardait cette face aux traits fins, ces lèvres sérieuses qui pouvaient aussi facilement afficher un air espiègle, un sourire salvateur. Un soupir de bien être…