lundi 24 septembre 2007

Test - 24/09/2007 - Pour une poignée de condoms

Je prenais des allures de promeneur innocent, sifflant tranquillement au milieu des rayons étroits de la pharmacie. J’y déambulais comme si de rien n’était, comme si je n’y cherchais rien de bien spécial. Décontracté en apparence, mais pourtant pris d’une bien étrange crainte, résurgence inexpliquée de mon passé de provincial, de mon instinct de timide.

J’étais tellement occupé par mon achat que je ne voyais même plus les paquets de chips, les bouteilles de coke, toutes ces saloperies que, de manière un peu contradictoire, les pharmacies nord-américaines vendent aux côtés de divers produits de santé. Je ne me faisais même pas ma sempiternelle remarque de Français, critiqueur intempestif : « ils sont malins les pharmaciens ici, ils vendent tout ce qu’il faut pour ruiner sa santé et tout ce qu’il faut pour se donner l’impression de la réparer. C’est un peu comme manger une assiette de brocolis après s’être goinfré de poutine… »

Non, aucune de ces pensées ne me traversait l’esprit. Tous mes sens étaient concentrés vers un seul objectif, un seul achat que mes yeux, roulant dans leurs orbites, cherchaient anxieusement. Pas que ce soit la perspective de ce qui suivrait cet achat, son utilisation, qui me rendaient aussi fébrile. Nenni. C’était une honte d’adolescent, une pudibonderie excessive qui me faisait craindre d’acheter un truc aussi utile et anodin qu’une boite de préservatifs.

Tout avait commencé lorsqu’en entrant dans la pharmacie, j’avais découvert que derrière le comptoir, une jeune femme au début de la vingtaine se tenait debout, mâchouillant un chewing-gum, tournant lentement les pages d’un quelconque magazine people. Elle avait des allures de jeune vierge effarouchée, de biche innocente, de sainte martyre, qui allait certainement me voir comme un pervers, comme tous ces hommes affamés qui plantent leurs dents dans les croupes rebondies pour se repaître de chair fraîche. Et puis, ma vie sexuelle ne la regardait pas. Je tenais dans une main une bouteille tout juste achetée à la SAQ. Et j’allais me pointer à la caisse, la bouche en cœur avec une boite de préservatifs. J’étais sûr qu’elle ne pourrait se tromper, qu’elle allait savoir que cette bouteille et ces petits bouts de caoutchouc devaient être ouverts dans la soirée, qu’elle poserait sur moi un regard plein de compassion et de reproche : comment un si gentil garçon peut-il plonger dans le stupre. Le rouge aux joues, je sortirai ma carte de débit en récitant deux ou trois je vous salue Marie avant de fuir vers la sortie.

Soudain, prenant mon courage à demain, bien décidé à en finir avec cette comédie que je me faisais, je pivotais sur moi-même, me plantais fermement devant l’étalage où pendaient lamentablement toutes les boites. Après avoir lu les quelques noms prometteurs des différentes catégories de préservatifs existants, je choisissais la boite qui correspondait le mieux à mes intentions de la soirée, à cette communion des corps et des sens que j’appelais de mes vœux. D’un pas téméraire, je filais vers la caisse en me répétant que ce n’était pas la première fois que j’achetais des condoms, que ce ne serait pas la dernière. Pourtant, au vol, je saisissais du rince-bouche, de la soie dentaire, une boite de cotons-tiges, dont je n’avais pas besoin, mais qui auraient l’insigne avantage de noyer mes intentions de la soirée sous une masse d’achats du quotidien. Tout ce qu’il faudrait pour faire comprendre à la petite sainte nitouche de l’entrée, que je faisais des achats utiles, que je venais de me rendre compte entre la crème pour les pieds et le nécessaire pour une bonne hygiène dentaire que je n’avais plus de préservatifs chez moi. Éh voilà !

J’arrivais à la caisse, posait mes courses sur le comptoir et attendait le verdict. Elle passa les articles devant son scanner sans même lever les yeux vers moi, à peine cessait-elle de lire son magazine. Dans une moue désagréable, d’une voix neutre et molle, elle me dit le montant total de mes achats. Je payais à la fois content de ne pas avoir à supporter ses regards désapprobateurs et vexé par le manque d’intérêt qu’elle me portait.

Tandis que je mettais mes courses dans un sac en plastique, une matrone en blouse blanche rejoignait la jeune femme en lui disant : « Désolée, je suis en retard, je viens te remplacer. Va prendre ta pause. »

Cela finit de me faire sentir complètement stupide.