lundi 5 novembre 2007

Test - 05/11/2007 - Marie-Reine-du-Monde mais plus de Montréal

Son nom répond au monumental de son intérieur. Basilique Marie-Reine-du-Monde. Il sonne comme la fin de toutes choses, comme les trompettes d’une apocalypse tant attendue. Et elle sera alors la chapelle fameuse de la plus sainte des vierges, au chapitre de laquelle le sacré d’antan enchantera à nouveau tous les cœurs et toutes les âmes. Mais pour l’instant, elle n’est qu’une superbe basilique aux riches ornements sur un continent matérialiste, dont l’entretien coûte de rondelettes sommes. L’ultime krak des églises du Canada, celle qu’on ne transformera jamais en condos spacieux, celle dont on ne ferme pas encore les portes en semaine.

Pèlerins, fidèles, touristes ou athées amateurs d’architecture ne peuvent s’empêcher d’être saisi d’un émoi certain en voyant le lustre de sa nef, l’éclat de ses bas-reliefs et le doré de ses latines citations, cinglantes incantations sacrées. Alors que pouvaient bien être par le passé, la ferveur d’un peuple qui entrait en son sein pour communier avec Dieu et découvrait ces voûtes géantes, ces scènes de la Bible peintes superbement sur des pans de mur, ce dôme immense montant aux nuées, ce palais luxueux dont on leur ouvrait les portes tous les dimanches ? Quelle sensation d’intense béatitude, il vivait en foulant ces dalles froides, claire mais finement ouvragées, lui qui avait l’habitude d’un intérieur spartiate, d’un parquet craquant, souvent d’un sol en terre battue ?

Pourtant, une fois frappé par son flamboyant, un examen un peu plus détaillé de son intérieur brise le mythe, lui donne un aspect de décor de cinéma. Il suffit pour cela de tapoter légèrement une de ces gigantesques colonnes de marbre qui allègent et élancent toute la structure pour découvrir, pantois, qu’elles ne sont faites que d’un grossier plâtre. Sur certaines d’entre elles, quelques écorchures, blessures du temps, laissent entrevoir la pièce que nous joue la basilique : le blanc du plâtre, éclat bien pâle au milieu d’un marbre simulé, trompeur. Un genre de Dix Commandements en carton-pâte, un péplum servi par un architecte qui aurait pu être Cécile B. Demille. Et alors que les orgues crachent leur souffle mélodieux, sur l’autel, un Charton Eston en robe de bure semble hurler : mais Dieu existe-t-il encore ? Au pied de la colonne, une poussière blanche s’accumule tranquillement. Tu es né poussière et tu retourneras poussière. L’homélie se termine sur un marché de dupe.

La trompeuse basilique Marie-Reine-du-Monde est esseulée. Elle paraît bien petite et son parvis minuscule au cœur de la métropole québécoise. Elle a l’air apeuré, cernée par les symboles monolithiques d’une société laïque et capitaliste. Ces tours phalliques font danser sur les rondeurs de son dôme de cuivre vieilli les souvenirs sombres du viol qu’elle a dû subir, de sa perte de statut de merveille architecturale de Montréal. Elle a beau se dresser, essayer de relever la tête, elle n’arrive plus à dépasser ses imposantes voisines, nouveaux temples païens, nouvelles maîtresses de la ville. Et c’est presque par hasard, au détour d’une large rue qu’on la découvre, qu’on se souvient de son existence. Parce qu’on ne la voit plus, perdue qu’elle est dans ce Québec qu’elle a réglementé, mis au pas et qui l’oublie toujours en peu plus.

dimanche 28 octobre 2007

Test - 29/10/2007

L’appartement était plongé dans la pénombre de ces débuts de nuits d’hiver, impatientes de tomber, d’envelopper la vie des Hommes. Tandis qu’une lumière pâle, celle de la ville qui s’éclaire, pénétrait timidement mon salon, j’assistais à la gigue des ombres qu’agitait mon écran d’ordinateur. Blotti sous une épaisse couette rose qui me faisait horreur, je regardais une série américaine de science-fiction. Je tendais l’oreille pour entendre les discussions des personnages. Ils donnaient l’impression de chuchoter pour ne pas faire de bruit, pour ne pas briser cette atmosphère de calme qui régnaient en maître.

Plus loin, dans ma chambre, une jeune femme dormait. Il était 20h00, nous étions un samedi et elle dormait. Elle venait de quitter son sud-ouest accueillant, de croiser quelques instants la grisaille de Paris, de traverser un océan aux côtés d’une petite fille qui sentait la salive séchée, mais elle dormait, maintenant, complètement insensible à l’excitation qui aurait dû la saisir à l’idée de ce séjour. Peut-être était-elle déjà un peu blasée de Montréal, de la rue Saint-Laurent, de l’ambiance tendance du plateau, elle qui venait ici pour la troisième fois ? Certainement que le décalage horaire ne l’aidait pas, ni la fatigue du voyage. Elle avait commencé à s’assoupir juste après avoir fini son assiette de riz sauté aux tomates et champignons. La voyant vaciller, je l’avais taquinée, comme mon rôle m’oblige à le faire. En la secouant, je lui proposais de faire la vaisselle. Il me semble que, sans gêne, elle me proposa de me la mettre où je pensais. Et puis, elle a filé au lit sans demander son reste.

J’ai éteint toutes les lumières, j’ai marché sur la pointe des pieds pour faire le moins de bruit possible avant de me vautrer sur mon canapé devant cette série. C’est fou, ça m’a ramené des années en arrière quand nous vivions encore ensemble. Lorsque nos parents sortaient les samedis soirs, ou bien lorsque tout le monde dormait, j’étais le seul debout à regarder le film de la nuit. C’était la même ambiance qui saisissait toute la maison. Elle devait se coucher tôt. Elle ne pouvait veiller comme moi, plus vieux, déjà plus indépendant. Elle trépignait ou s’installait discrètement dans un coin du salon, avant que je ne la chasse. Elle s’enfermait dans sa chambre et finissait par s’endormir. Il n’y avait alors que la télé qui chuchotait.

Ce soir là, je regardais à plusieurs reprises vers le bout du couloir, m’attendant à la surprendre en pyjama, deux couettes plantées sur sa tête. Elle n’y était pas. Je le regrettais un peu, j’aurais aimé lui courir après et embrasser ses grosses joues. Sur mon écran, un vaisseau spatial explosait dans un crépitement étouffé, mais j’étais habité par la conscience que ces moments là allaient être rares. Elle était une femme maintenant. Les joues ont fondu. La silhouette a minci. Les couettes sont devenues des mèches qui tombent sur ses épaules. Et à chaque fois que je la revois, je suis surpris de la voir devenir aussi féminine et adulte. Là, une ultime fois, nous nous retrouvions seuls, complètement seuls, elle et moi. La vie nous avait conduit ici. Plus de conjointe sous mon toit, plus d’amis avec elle. Juste nous deux, frères et sœurs, adultes ensemble.

Le plus étonnant dans tout cela, c’est le constat que nous ne nous connaissons plus vraiment. Oui, nous savons qui nous sommes. Mais entre les 7 fois ou 8 fois où nous nous sommes croisés, combien de changements d’un côté ou de l’autre… et pourtant, comme il y a 15 ans, je suis dans le noir, le visage éclairé par mon écran, je fais le moins de bruit possible et elle dort à quelques mètres de moi, innocente, confiante.

dimanche 21 octobre 2007

Archives - Ancien Test 14/11/2006

En soi, il n’était pourtant pas haut ce petit muret de béton qui bordait l’entrée de la cave. 1m20. Pas plus. Mon cousin et mon oncle, de quelques années mes aînés, le sautaient inlassablement sans aucune difficulté. Je les suivais, et de la terrasse surélevée qu’il scindait, je restais longtemps perché là, à essayer de trouver le courage de sauter à mon tour, dans ce qui me paraissait un vide incroyable. La plupart du temps, ils ne s’apercevaient même pas de mon trouble. Ils continuaient leur chemin vers les trésors de la cave, sans cesser leurs discussions de grands. Moi, piteusement, je prenais le chemin le plus long, la petite descente qui plongeait vers le sous-sol. Parfois, mes deux compères m’attendaient en m’encourageant ou en me raillant, c’était selon leur humeur. Mais rien n’y faisait. J’abandonnais à chaque fois, pris d’une peur incontrôlable. Craignant de me briser les chevilles si je sautais.

Un jour, je traînais dans les jupes de ma grand-mère. Elle sortait le linge de la machine à laver pour aller l’étendre sous le doux soleil d’avril. À l’entrée de cette vaste cave sombre, elle sortait les vêtements humides et fripés, les secouait violemment pour les détendre, et les posait finalement à plat dans une grande bassine. Pour se donner du cœur à l’ouvrage, elle chantait. Certainement un air de Luis Mariano. Et je suis presque sûr que c’était l’amour est un bouquet de violette. Moi, je fouillais dans le fatras de cette caverne d’Ali Baba. On y trouvait des paires de bottes à foison, des bouteilles vides qu’on remplirait bientôt de vin et de cidre maison, des vieux vêtements des années 60, des casquettes de marin, un caban qui sentait le moisi… tout et rien. De temps en temps, je jetais un œil vers l’entrée de la cave et je voyais cette rassurante silhouette se découper dans un rayon de soleil, au son d’un air d’une autre époque, d’un autre monde qui ne sera plus jamais. Tout d’un coup, pris d’une fringale comme je savais en avoir, je me faufilais hors du sous-sol et filais dans la maison. Si je montais les quelques marches du perron sans me cacher, je faisais attention en poussant la lourde porte, de ne pas faire trop de bruit. Et je tremblais de peur en la refermant craignant qu’elle ne claque à mon insu. Tandis que roulaient les rugissant ronflements de mon grand-père, discrètement, à pas feutrés, je me glissais dans la cuisine. Là, j’ouvrais la huche à pain. J’y fourrais mes deux mains avec lesquelles, insatiable, j’étranglais un pain de campagne presque aussi gros que moi. J’agissais au plus vite pour que ses cris ne réveillent pas mon grand-père et ne révèlent pas mon larcin. Je tirais alors un morceau de pain frais immense. Sa croûte dorée croustillait. Sa mie blanche, épaisse me faisait saliver. Je ne pouvais attendre d’être dehors et j’y mordais à pleine dent. Je n’ai jamais mangé de pain aussi bon que celui là. Tout en mâchan t goulûment, je quittais les lieux, mettant en application ce principe cher à mon héros du moment, Arsène Lupin joué par Georges Descrière : un voleur ne s’attarde jamais sur les lieux, une fois le vol effectué. Principe qu’il n’avait pourtant pas respecté dans plusieurs épisodes.

Une fois que la lourde porte se refermait sur moi, mon vol entre les mains, je décidais de me réfugier dans le seul endroit qui pouvait encore me dissimuler : la cave et sa pénombre, hôte rêvé pour tous les petits malhonnêtes dans mon genre. Je fourrais le morceau de pain sous mon pull, et je déguerpissais au plus vite. Le temps jouait contre moi. Mon grand-père pouvait se réveiller, voir quelques miettes devant la huche. Ou pire, un affreux doute m’assaillait : avais-je bien refermé la dite huche ? Ou encore, était-je sûr que personne ne m’avait vu ?

Courant comme un dératé, je tournais directement à l’angle de la maison, pour prendre le chemin le plus court vers la cave. Je me retrouvais au pied du mur, ou pour être plus exact au sommet du muret. Je n’avais plus le choix. Les flics aux trousses. Pour moi, ça allait être la maison de correction, les liens avec la pègre, une chute autrement vertigineuse dans le monde de la criminalité. Tout ça pour un vulgaire bout de pain. Jean Valjean n’avait qu’à bien se tenir. Là, étourdi par cette vie ratée à cause d’une erreur de jeunesse, d’un larcin de pacotille, sans même y réfléchir, je sautais !

Mes chevilles étaient intactes. Mon orgueil revigoré. En passant à côté de ma grand-mère, je bombais le torse, en une convexe torsion de ma cage thoracique, ordinairement si concave. J’étais presque un homme.

Il y a quelques semaines, j’ai renouvelé l’exploit. Du haut de ce muret, qui cette fois me paraissait minuscule, je me suis laissé lourdement tomber. Je n’ai même pas eu un frisson. J’ai posé ma main sur sa surface rugueuse. Je l’ai caressé longuement. Combien de murets avais-je dû trouver le courage de sauter toutes ces années ? Combien de peurs inavouées m’avaient serré les intestins, m’avaient ravagé ? Et pourtant, aujourd’hui, elles me semblent toutes presque aussi inoffensives que ce petit muret. Tiens, je mangerais bien un bout de pain.

Archives - Ancien Test 14/11/2005

De cette petite maison, vieille et délabrée, il ne reste qu’un souvenir, qu’un goût. Celui de la paix intérieure, celui de la liberté. Son unique étage était inhabitable : pas de vitres aux fenêtres, un toit qui, à certains endroits, laissaient passer la pluie. Restait le rez-de-chaussée. Seules deux pièces avaient été retapées. On pouvait y vivre si on savait se passer du confort. Devant son aspect spartiate, un de mes amis parisiens aurait sûrement pu affirmer que c’était du Le Corbusier tout craché par le dénuement extrême des commodités.

Flanquée à un village encore plus vieux, qui se mourrait depuis plus de cinquante ans, elle ne dépareillait pas. Bordant des champs de pâturage, elle résonnait tout l’été des bêlements des agneaux. Lorsqu’on sortait sa tête des fenêtres du rez-de-chaussée pour regarder dans la petite cour, on risquait de se faire prendre par un rayon de soleil, de rester là une vingtaine de minutes, appuyé sur ses avant-bras, goûtant la vie et le calme au milieu d’une campagne désœuvrée et pourtant si douce. Le souffle des veaux dans l’étable, les lézards qui glissaient sur les murs épais, un papillon qui voletait doucement dans la fraîcheur d’un matin d’été. On pouvait alors s’étirer, mettre du lait à chauffer, couper une grosse part de brioche pour la mordre à pleine dent. On se disait… Non. Je me disais que c’était ça le bonheur. Ou quelque chose comme ça. Je mettais un peu de musique, content qu’il y ait au moins de l’électricité. Brassens résonnait dans la petite cour aux sons de margoton la jeune bergère. J’avais presque l’impression qu’en allant dans l’étable, je la verrai, le corsage défait, adossée contre la grosse meule de foin, allaitant le petit chat de la chanson. Tandis que je prenais mon petit déjeuner, plongeais ma brioche dans le chocolat chaud, je repassais inlassablement le même titre, ânonnant les paroles que je connaissais le mieux : Viens comme hier, comme hier, comme hier. Si tu ne m’aimes point c’est moi qui t’aimerons. Pour passer le gros ruisseau de pierres en pierres, comme tous les jours mes bras t’enlèveront, nos dindes, nos truies, nous suivront légères.

L’hiver… l’hiver c’était bien différent. Cette bicoque devenait glaciale. La cour était balayée par les vents et l’on n’ouvrait plus jamais les fenêtres sur elle. Pas de neige. Juste du froid et du vent. Fort heureusement, dans une des pièces habitables, il y avait une grosse cheminée. On ramenait du bois, on allumait le feu, on soufflait tout ce qu’on pouvait pour qu’il prenne correctement et réchauffe enfin cette grande pièce. Il crépitait d’abord doucement, puis les flammes finissaient par avoir le dessus, par s’en prendre aux vieilles souches comme aux jeunes branches. On pouvait alors quitter son manteau et se coller devant l’âtre pour y prendre un peu de chaleur. J’y faisais chauffer de l’eau que je versais ensuite dans une théière en fonte. J’infusais un thé vert à la menthe, puis, quand il était prêt, je collais ma théière sur les braises pour qu’elle reste chaude. Je sortais un petit verre qui, dans une autre vie, avait été un pot à moutarde de Dijon. Un sucre. Et j’y versais délicatement un peu de ce nectar. La théière rejoignait sa place devant les flammes. Je m’installais aussi confortablement que possible, Jonathan Livingstone le goéland dans une main. Je lisais jusqu’au bout de la nuit, buvant et buvant tout le thé que je pouvais. Espérant que jamais la nuit ne se termine. Je volais avec lui jusqu’aux limites de l’esprit, dans cette univers où on ne peut être que seul. Le thé fumait dans mon petit verre. Je m’y brûlais les doigts avec plaisir.

Aujourd’hui, il n’en reste qu’un souvenir, qu’un goût. Bien amers l’un et l’autre.

jeudi 18 octobre 2007

Test - 15/10/2007

De l’immeuble de ma blonde émane une étrange atmosphère. Si son appartement est un lieu protégé, le tabernacle ouvragé où je vais boire au calice des douceurs de vivre, le reste de la bâtisse est spécial. Elle a des airs d’immeubles de la banlieue parisienne. Elle est l’entassement de petits appartements dispendieux au pays de l’espace, du vaste donné. Entre toutes ces cabines allant du petit studio au minuscule 4 et demi, les murs sont mal insonorisés. Les vies se croisent, s’entendent, s’observent, s’insupportent dans un brouhaha constant fait de soupirs, de cris, de rires et de télévisions au volume trop fort.

Tous les espaces communs sont envahis par une odeur lancinante qui s’insinue régulièrement dans les appartements par le mince filet qui fait jour en dessous des portes. Elle est un mélange dont la base est composée d’huile chaude, de tabac froid, à laquelle s’ajoute les appétits du moment : un peu d’odeur de mets chinois, un soupçon de grillade. Elle est à la fois dégoûtante et agréable.

Les couloirs, quant à eux, sont habillés par un goût artistique très discutable où se côtoient une mauvaise affiche des années 30, une pâle copie d’un tableau peint sous LSD et tout ce que le mauvais goût a bien pu mettre sous cadre. Lorsqu’on descend au sous-sol pour déposer une poubelle dans la salle réservée à cet effet, la porte s’ouvre sur un naïf et touchant portrait de berger allemand. Sous son petit air bonasse, son œil brille de l’instinct du chien de berger, chargé de veiller à la ferme et au troupeau. Il semble nous dire que, sous ses dehors accueillant, il n’hésitera pas à croquer celui qui ne déposera pas son sac à ordure dans le bon contenant, à aboyer à la mort pour prévenir le concierge que la porte du local n’a pas été bien fermée. Cave canem.

Non, la seule qui retient mon attention, c’est cette photo de l’exposition universelle de 1967. Il s’agit d’une vue aérienne des îles Sainte-Hélène et Notre-Dame, complètement recouvertes par les pavillons des nations participantes. Derrière, de l’autre côté du fleuve, Montréal s’étend. Je reste souvent fasciné par cette Montréal là, issue du passé. Elle n’a pas encore la verticalité qu’on lui connaît, elle s’étend morne, presque molle. J’en viens à me demander si je l’aurais aimé cette Montréal, et ce qu’il y a de différent entre cette même ville à deux âges de sa vie.

Pourtant, dans l’immeuble de ma blonde, il y a ma blonde. Ses petits doigts fins. Son sourire à fossettes. Ses bras qui se nouent autour de mon cou. Un condensé de belles formes qui ne se dilue pas dans le mauvais goût.

vendredi 12 octobre 2007

Test - 09/10/2007 - Un royaume perdu dans les montagnes

Perdu au cœur des montagnes alpestres, gonflé par la fonte des neiges, un ruisseau s’était taillé un royaume dans la roche. Cet apanage, encastré profondément entre deux sommets, eut été appelé gorge s’il avait été sec, rocailleux, et que le remous de ces eaux claires eut bouillonné dans un fracas constant, étourdissant. Mais au contraire, le fief en question avait su laisser place à une riche végétation. Son orientation, plein sud, le dotait d’un climat doux aux sens. Le seigneur du lieu avait su drainer intelligemment cet espace, déposant tranquillement, pendant des siècles, des alluvions pour en faire des espaces verts, des pâturages à l’herbe grasse dont savait profiter le gibier.

En son milieu, le ruisseau rencontrait une dépression qui le faisait tomber de plusieurs mètres. Cette chute chantait agréablement au milieu des chœurs du bruissement des arbres que réveillait une légère brise. Elle faisait ondoyer merveilleusement l’eau de ce bassin naturel qui s’était formé à ses pieds. Son crépitement, sa caresse sur des pierres polies par toute cette tendresse, voilà les attributs d’une sensuelle étreinte qui durait depuis toujours, sans jamais s’essouffler.

Après avoir fait profiter son royaume de tous ses bienfaits, le ruisseau, humble comme personne, disparaissait discrètement dans le flanc d’une montagne, laissant la vallée ouverte sur un col haut et inaccessible. Nul ne savait ce qu’il devenait. Nul ne s’en souciait car sa source ne se tarissait pas. Et c’était cela l’essentiel, qu’il soit toujours là, toujours le protecteur de ce petit pays de Canaan.

D’homme, il n’y en avait pas. Parfois, quelque berger venait y faire paître son troupeau. Il profitait de ce calme olympien, de cette eau si pure qu’elle semblait faire disparaître toute fatigue. Il admirait ce paysage incroyable, assiégé par la pierre menaçante des montagnes voisines, jalouses de ne pouvoir jouir de ces privilèges, du luxe de l’oisiveté délicate de cette vallée sinuant à leurs pieds. Tous les soirs, les sommets dressaient leurs ombres avides comme pour faire fondre sur elle leurs ambitions dévorantes. Mais ces ombres restaient de furtives intentions que la nuit venait dissiper. Les rares hommes qui y passaient, voyaient cette vallée comme un joyau dont ils avaient eux seuls la jouissance. Ainsi, ils se taisaient, ne transmettaient son existence que rarement, emportaient souvent son secret dans la tombe. Il pouvait se passer des siècles sans qu’un homme n’y mette le pied, n’y baigne son regard ébahi. Mais quand il venait, il comprenait que sa présence était superflue, se sentait comme un invité, accepté ici tant qu’il ne faisait que passer, tant qu’il ne polluait pas de ses industrieuses idées cet espace hors du temps. Celui-là revenait pendant quelques printemps, repartait avec son troupeau et disparaissait. Le ruisseau s’en apercevait à peine tant les vies d’hommes ne sont que grains de sables devant l’échelle du temps de la nature.

D’homme, il n’y en avait pas. Et c’était heureux qu’ils n’aient pu s’agripper ici, y planter leurs ongles, y briser le pouvoir de ce maître mince et fragile qui avait su se faire un royaume.

lundi 24 septembre 2007

Test - 24/09/2007 - Pour une poignée de condoms

Je prenais des allures de promeneur innocent, sifflant tranquillement au milieu des rayons étroits de la pharmacie. J’y déambulais comme si de rien n’était, comme si je n’y cherchais rien de bien spécial. Décontracté en apparence, mais pourtant pris d’une bien étrange crainte, résurgence inexpliquée de mon passé de provincial, de mon instinct de timide.

J’étais tellement occupé par mon achat que je ne voyais même plus les paquets de chips, les bouteilles de coke, toutes ces saloperies que, de manière un peu contradictoire, les pharmacies nord-américaines vendent aux côtés de divers produits de santé. Je ne me faisais même pas ma sempiternelle remarque de Français, critiqueur intempestif : « ils sont malins les pharmaciens ici, ils vendent tout ce qu’il faut pour ruiner sa santé et tout ce qu’il faut pour se donner l’impression de la réparer. C’est un peu comme manger une assiette de brocolis après s’être goinfré de poutine… »

Non, aucune de ces pensées ne me traversait l’esprit. Tous mes sens étaient concentrés vers un seul objectif, un seul achat que mes yeux, roulant dans leurs orbites, cherchaient anxieusement. Pas que ce soit la perspective de ce qui suivrait cet achat, son utilisation, qui me rendaient aussi fébrile. Nenni. C’était une honte d’adolescent, une pudibonderie excessive qui me faisait craindre d’acheter un truc aussi utile et anodin qu’une boite de préservatifs.

Tout avait commencé lorsqu’en entrant dans la pharmacie, j’avais découvert que derrière le comptoir, une jeune femme au début de la vingtaine se tenait debout, mâchouillant un chewing-gum, tournant lentement les pages d’un quelconque magazine people. Elle avait des allures de jeune vierge effarouchée, de biche innocente, de sainte martyre, qui allait certainement me voir comme un pervers, comme tous ces hommes affamés qui plantent leurs dents dans les croupes rebondies pour se repaître de chair fraîche. Et puis, ma vie sexuelle ne la regardait pas. Je tenais dans une main une bouteille tout juste achetée à la SAQ. Et j’allais me pointer à la caisse, la bouche en cœur avec une boite de préservatifs. J’étais sûr qu’elle ne pourrait se tromper, qu’elle allait savoir que cette bouteille et ces petits bouts de caoutchouc devaient être ouverts dans la soirée, qu’elle poserait sur moi un regard plein de compassion et de reproche : comment un si gentil garçon peut-il plonger dans le stupre. Le rouge aux joues, je sortirai ma carte de débit en récitant deux ou trois je vous salue Marie avant de fuir vers la sortie.

Soudain, prenant mon courage à demain, bien décidé à en finir avec cette comédie que je me faisais, je pivotais sur moi-même, me plantais fermement devant l’étalage où pendaient lamentablement toutes les boites. Après avoir lu les quelques noms prometteurs des différentes catégories de préservatifs existants, je choisissais la boite qui correspondait le mieux à mes intentions de la soirée, à cette communion des corps et des sens que j’appelais de mes vœux. D’un pas téméraire, je filais vers la caisse en me répétant que ce n’était pas la première fois que j’achetais des condoms, que ce ne serait pas la dernière. Pourtant, au vol, je saisissais du rince-bouche, de la soie dentaire, une boite de cotons-tiges, dont je n’avais pas besoin, mais qui auraient l’insigne avantage de noyer mes intentions de la soirée sous une masse d’achats du quotidien. Tout ce qu’il faudrait pour faire comprendre à la petite sainte nitouche de l’entrée, que je faisais des achats utiles, que je venais de me rendre compte entre la crème pour les pieds et le nécessaire pour une bonne hygiène dentaire que je n’avais plus de préservatifs chez moi. Éh voilà !

J’arrivais à la caisse, posait mes courses sur le comptoir et attendait le verdict. Elle passa les articles devant son scanner sans même lever les yeux vers moi, à peine cessait-elle de lire son magazine. Dans une moue désagréable, d’une voix neutre et molle, elle me dit le montant total de mes achats. Je payais à la fois content de ne pas avoir à supporter ses regards désapprobateurs et vexé par le manque d’intérêt qu’elle me portait.

Tandis que je mettais mes courses dans un sac en plastique, une matrone en blouse blanche rejoignait la jeune femme en lui disant : « Désolée, je suis en retard, je viens te remplacer. Va prendre ta pause. »

Cela finit de me faire sentir complètement stupide.