dimanche 28 octobre 2007

Test - 29/10/2007

L’appartement était plongé dans la pénombre de ces débuts de nuits d’hiver, impatientes de tomber, d’envelopper la vie des Hommes. Tandis qu’une lumière pâle, celle de la ville qui s’éclaire, pénétrait timidement mon salon, j’assistais à la gigue des ombres qu’agitait mon écran d’ordinateur. Blotti sous une épaisse couette rose qui me faisait horreur, je regardais une série américaine de science-fiction. Je tendais l’oreille pour entendre les discussions des personnages. Ils donnaient l’impression de chuchoter pour ne pas faire de bruit, pour ne pas briser cette atmosphère de calme qui régnaient en maître.

Plus loin, dans ma chambre, une jeune femme dormait. Il était 20h00, nous étions un samedi et elle dormait. Elle venait de quitter son sud-ouest accueillant, de croiser quelques instants la grisaille de Paris, de traverser un océan aux côtés d’une petite fille qui sentait la salive séchée, mais elle dormait, maintenant, complètement insensible à l’excitation qui aurait dû la saisir à l’idée de ce séjour. Peut-être était-elle déjà un peu blasée de Montréal, de la rue Saint-Laurent, de l’ambiance tendance du plateau, elle qui venait ici pour la troisième fois ? Certainement que le décalage horaire ne l’aidait pas, ni la fatigue du voyage. Elle avait commencé à s’assoupir juste après avoir fini son assiette de riz sauté aux tomates et champignons. La voyant vaciller, je l’avais taquinée, comme mon rôle m’oblige à le faire. En la secouant, je lui proposais de faire la vaisselle. Il me semble que, sans gêne, elle me proposa de me la mettre où je pensais. Et puis, elle a filé au lit sans demander son reste.

J’ai éteint toutes les lumières, j’ai marché sur la pointe des pieds pour faire le moins de bruit possible avant de me vautrer sur mon canapé devant cette série. C’est fou, ça m’a ramené des années en arrière quand nous vivions encore ensemble. Lorsque nos parents sortaient les samedis soirs, ou bien lorsque tout le monde dormait, j’étais le seul debout à regarder le film de la nuit. C’était la même ambiance qui saisissait toute la maison. Elle devait se coucher tôt. Elle ne pouvait veiller comme moi, plus vieux, déjà plus indépendant. Elle trépignait ou s’installait discrètement dans un coin du salon, avant que je ne la chasse. Elle s’enfermait dans sa chambre et finissait par s’endormir. Il n’y avait alors que la télé qui chuchotait.

Ce soir là, je regardais à plusieurs reprises vers le bout du couloir, m’attendant à la surprendre en pyjama, deux couettes plantées sur sa tête. Elle n’y était pas. Je le regrettais un peu, j’aurais aimé lui courir après et embrasser ses grosses joues. Sur mon écran, un vaisseau spatial explosait dans un crépitement étouffé, mais j’étais habité par la conscience que ces moments là allaient être rares. Elle était une femme maintenant. Les joues ont fondu. La silhouette a minci. Les couettes sont devenues des mèches qui tombent sur ses épaules. Et à chaque fois que je la revois, je suis surpris de la voir devenir aussi féminine et adulte. Là, une ultime fois, nous nous retrouvions seuls, complètement seuls, elle et moi. La vie nous avait conduit ici. Plus de conjointe sous mon toit, plus d’amis avec elle. Juste nous deux, frères et sœurs, adultes ensemble.

Le plus étonnant dans tout cela, c’est le constat que nous ne nous connaissons plus vraiment. Oui, nous savons qui nous sommes. Mais entre les 7 fois ou 8 fois où nous nous sommes croisés, combien de changements d’un côté ou de l’autre… et pourtant, comme il y a 15 ans, je suis dans le noir, le visage éclairé par mon écran, je fais le moins de bruit possible et elle dort à quelques mètres de moi, innocente, confiante.