dimanche 21 octobre 2007

Archives - Ancien Test 14/11/2005

De cette petite maison, vieille et délabrée, il ne reste qu’un souvenir, qu’un goût. Celui de la paix intérieure, celui de la liberté. Son unique étage était inhabitable : pas de vitres aux fenêtres, un toit qui, à certains endroits, laissaient passer la pluie. Restait le rez-de-chaussée. Seules deux pièces avaient été retapées. On pouvait y vivre si on savait se passer du confort. Devant son aspect spartiate, un de mes amis parisiens aurait sûrement pu affirmer que c’était du Le Corbusier tout craché par le dénuement extrême des commodités.

Flanquée à un village encore plus vieux, qui se mourrait depuis plus de cinquante ans, elle ne dépareillait pas. Bordant des champs de pâturage, elle résonnait tout l’été des bêlements des agneaux. Lorsqu’on sortait sa tête des fenêtres du rez-de-chaussée pour regarder dans la petite cour, on risquait de se faire prendre par un rayon de soleil, de rester là une vingtaine de minutes, appuyé sur ses avant-bras, goûtant la vie et le calme au milieu d’une campagne désœuvrée et pourtant si douce. Le souffle des veaux dans l’étable, les lézards qui glissaient sur les murs épais, un papillon qui voletait doucement dans la fraîcheur d’un matin d’été. On pouvait alors s’étirer, mettre du lait à chauffer, couper une grosse part de brioche pour la mordre à pleine dent. On se disait… Non. Je me disais que c’était ça le bonheur. Ou quelque chose comme ça. Je mettais un peu de musique, content qu’il y ait au moins de l’électricité. Brassens résonnait dans la petite cour aux sons de margoton la jeune bergère. J’avais presque l’impression qu’en allant dans l’étable, je la verrai, le corsage défait, adossée contre la grosse meule de foin, allaitant le petit chat de la chanson. Tandis que je prenais mon petit déjeuner, plongeais ma brioche dans le chocolat chaud, je repassais inlassablement le même titre, ânonnant les paroles que je connaissais le mieux : Viens comme hier, comme hier, comme hier. Si tu ne m’aimes point c’est moi qui t’aimerons. Pour passer le gros ruisseau de pierres en pierres, comme tous les jours mes bras t’enlèveront, nos dindes, nos truies, nous suivront légères.

L’hiver… l’hiver c’était bien différent. Cette bicoque devenait glaciale. La cour était balayée par les vents et l’on n’ouvrait plus jamais les fenêtres sur elle. Pas de neige. Juste du froid et du vent. Fort heureusement, dans une des pièces habitables, il y avait une grosse cheminée. On ramenait du bois, on allumait le feu, on soufflait tout ce qu’on pouvait pour qu’il prenne correctement et réchauffe enfin cette grande pièce. Il crépitait d’abord doucement, puis les flammes finissaient par avoir le dessus, par s’en prendre aux vieilles souches comme aux jeunes branches. On pouvait alors quitter son manteau et se coller devant l’âtre pour y prendre un peu de chaleur. J’y faisais chauffer de l’eau que je versais ensuite dans une théière en fonte. J’infusais un thé vert à la menthe, puis, quand il était prêt, je collais ma théière sur les braises pour qu’elle reste chaude. Je sortais un petit verre qui, dans une autre vie, avait été un pot à moutarde de Dijon. Un sucre. Et j’y versais délicatement un peu de ce nectar. La théière rejoignait sa place devant les flammes. Je m’installais aussi confortablement que possible, Jonathan Livingstone le goéland dans une main. Je lisais jusqu’au bout de la nuit, buvant et buvant tout le thé que je pouvais. Espérant que jamais la nuit ne se termine. Je volais avec lui jusqu’aux limites de l’esprit, dans cette univers où on ne peut être que seul. Le thé fumait dans mon petit verre. Je m’y brûlais les doigts avec plaisir.

Aujourd’hui, il n’en reste qu’un souvenir, qu’un goût. Bien amers l’un et l’autre.

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