vendredi 12 octobre 2007

Test - 09/10/2007 - Un royaume perdu dans les montagnes

Perdu au cœur des montagnes alpestres, gonflé par la fonte des neiges, un ruisseau s’était taillé un royaume dans la roche. Cet apanage, encastré profondément entre deux sommets, eut été appelé gorge s’il avait été sec, rocailleux, et que le remous de ces eaux claires eut bouillonné dans un fracas constant, étourdissant. Mais au contraire, le fief en question avait su laisser place à une riche végétation. Son orientation, plein sud, le dotait d’un climat doux aux sens. Le seigneur du lieu avait su drainer intelligemment cet espace, déposant tranquillement, pendant des siècles, des alluvions pour en faire des espaces verts, des pâturages à l’herbe grasse dont savait profiter le gibier.

En son milieu, le ruisseau rencontrait une dépression qui le faisait tomber de plusieurs mètres. Cette chute chantait agréablement au milieu des chœurs du bruissement des arbres que réveillait une légère brise. Elle faisait ondoyer merveilleusement l’eau de ce bassin naturel qui s’était formé à ses pieds. Son crépitement, sa caresse sur des pierres polies par toute cette tendresse, voilà les attributs d’une sensuelle étreinte qui durait depuis toujours, sans jamais s’essouffler.

Après avoir fait profiter son royaume de tous ses bienfaits, le ruisseau, humble comme personne, disparaissait discrètement dans le flanc d’une montagne, laissant la vallée ouverte sur un col haut et inaccessible. Nul ne savait ce qu’il devenait. Nul ne s’en souciait car sa source ne se tarissait pas. Et c’était cela l’essentiel, qu’il soit toujours là, toujours le protecteur de ce petit pays de Canaan.

D’homme, il n’y en avait pas. Parfois, quelque berger venait y faire paître son troupeau. Il profitait de ce calme olympien, de cette eau si pure qu’elle semblait faire disparaître toute fatigue. Il admirait ce paysage incroyable, assiégé par la pierre menaçante des montagnes voisines, jalouses de ne pouvoir jouir de ces privilèges, du luxe de l’oisiveté délicate de cette vallée sinuant à leurs pieds. Tous les soirs, les sommets dressaient leurs ombres avides comme pour faire fondre sur elle leurs ambitions dévorantes. Mais ces ombres restaient de furtives intentions que la nuit venait dissiper. Les rares hommes qui y passaient, voyaient cette vallée comme un joyau dont ils avaient eux seuls la jouissance. Ainsi, ils se taisaient, ne transmettaient son existence que rarement, emportaient souvent son secret dans la tombe. Il pouvait se passer des siècles sans qu’un homme n’y mette le pied, n’y baigne son regard ébahi. Mais quand il venait, il comprenait que sa présence était superflue, se sentait comme un invité, accepté ici tant qu’il ne faisait que passer, tant qu’il ne polluait pas de ses industrieuses idées cet espace hors du temps. Celui-là revenait pendant quelques printemps, repartait avec son troupeau et disparaissait. Le ruisseau s’en apercevait à peine tant les vies d’hommes ne sont que grains de sables devant l’échelle du temps de la nature.

D’homme, il n’y en avait pas. Et c’était heureux qu’ils n’aient pu s’agripper ici, y planter leurs ongles, y briser le pouvoir de ce maître mince et fragile qui avait su se faire un royaume.

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